Spectateurs de la trilogie Des femmes - Sophocle mis en scène par Wajdi Mawouad

Sophocle, Electre (Sara Llorca)


La Reine de ma nuit


Sara, les jours ont passé, cependant, chacun de mes membres tremble encore lorsque je pense à ta prestation.

Je n'oublie rien de cette nuit, de la boue dans laquelle tu te roules et sombres toujours plus. La boue justement, celle qui t'enivre de toutes parts, court le long de ton corps et danse au bord de tes hanches. Celle qui te ronge de l'intérieur aussi, qui mêlée à l'eau te glace doucement le sang.

Et moi je suis là et je t'attends. J'attends que tout s'enlise, que tu te noies dans ta misérable vie, en suffoquant, poignardée par le froid. Mais rien de t'arrête, ta prestation me coupe le souffle : pas de tremblement, de mains fripées, ni même de voix enrayée. Non.

Le ciel s'assombrit, ton corps j'en suis sûre, commence à pourrir. Et toi ? Toi tu survis.


Fiona Solé



Un cri puissant


Un cri. Oui ce qui définit à la perfection le personnage d'Electre dans la troisième pièce éponyme de la trilogie Des Femmes mise en scène par Wajdi Mawouad. Un cri puissant et déchirant poussé par Sara Llorca, fascinante de colère, à la frontière de la folie, ressassant le meurtre de son père tout en en projetant deux autres. En total accord avec le choeur qui l'accompagne dans ses répétitions des crimes à venir, l'actrice laisse s'exprimer toute la violence de son personnage avec une intensité spectaculaire. Sa fureur terrasse le spectateur oppressé, autant que la soudaine révélation de sa fragilité le choque, à l'annonce de la prétendue mort d'Oreste. Mais l'explosion de joie qui suit la découverte de la supercherie, est encore bien plus impressionnante, et le sourire sincère d'Electre que nous ne pensions pas pouvoir trouver sur ce visage défiguré par la haine et les larmes nous émeut. Le jeu sensuel entre le frère et la soeur qui s'enclenche alors au son de la musique puissante du choeur, voit disparaître la boue qui engloutissait progressivement Electre dans son décor de bas-fonds, à l'aide d'une eau claire et pure. Celle-ci n'ôtera cependant à aucun des deux protagonistes leur volonté meurtière, qui s'achèvera comme cette pièce avait débuté. Par un cri.


Cendrine Buisson




Sophocle, Antigone


Une scénographie sombre de métal, signée Emmanuel Clolus, marque la déraison humaine. En témoigne la mort d'Antigone emmurée sur ordre de son oncle Créon.


Thimoté Basile




Sophocle, Antigone



Un choeur torturé



Peu à peu la lumière s'éteint.

L'obscurité dessine des silhouettes au coeur de la scène, assises, légèrement abritées d'une bâche recouverte d'eau. Elle ruisselle, le cliquetis des gouttes résonne sur les planches du théâtre.

Quelques secondes plus tard, une voix, un chant, un air de guitare, un timbre, une note, des accords... une identité.

Mon coeur se serre, je me redresse. Ô sombre héros de la mer. Sombre héros au coeur buriné, aux pensées torturées, à l'avenir souillé, au destin malmené, gâché.

Cette voix, reconnaissable parmi des centaines, aux tourmentes connues de tous.

La salle noire de désir semble également subjuguée par une telle présence vocale. Un choeur choisi à la perfection bien qu'au coeur de polémiques foudroyantes.

Cependant ce rôle n'est pas destiné aux chanteurs de variété aux joues rosées. Non, des tragédies doivent être exprimées de la sorte avec rage, conviction et compréhension. Un choeur torturé nous ancrant dans l'histoire, une folie névrosée qui nous obsède sept heures durant. La trilogie prend tout son sens, les mots deviennent compréhensibles, la douleur a enfin une image, les comédiens semblent poussés par l'énergie des chants. Une folie suinte de rang en rang. Je ressens l'envie de sauter sur scène, de me défouler, de sortir ma rage. Pourtant je suis au Théâtre des Amandiers, je ne suis pas Déjanire le coeur en mal d'amour, et je trouve le sommeil...


April Paupy



Puis il y avait Bertrand Cantat


Des Femmes fut l'une des plus marquantes de mes expériences théâtrales : trois pièces à la suite... Sera-ce trop long ? Puis il y avait Bertrand Cantat. Un temps enchantée, je me suis rappelé, je me suis demandé si c'était bien sensé de faire chanter le malheur des femmes à Cantat, si artiste soit-il...

Et ensuite j'ai oublié. Parce qu'il est venu habillé en voix, j'ai oublié l'homme derrière ; parce qu'il s'est avancé, seul, au beau milieu des Trachiniennes, presque comme dénudé, et a entonné cet a capella, dans un français étranger, parce qu'il était si puissant dans sa tranquillité, et si tranquille dans sa puissance, et parce qu'il avait la voix et l'être qui se fêlaient, à cause de tout ça j'ai oublié ce que j'avais autour, ce qu'il y avait avant, j'ai oublié Vilnius.


Ludmila Bogatchek





Sophocle, Les Trachiniennes

Des frissons pour le reste de la nuit


Projetés dans un univers de passions, c'est face à des acteurs possédés par la souffrance de leur personnage que nous nous retrouvons. Des seaux d'eau renversés, des projections de boue, de la nudité mêlée à de la terre, des hurlements qui sortent des tripes, des étreintes et des coups.

Alice Fouché



Sophocle, Les trachiniennes


Hommage aux femmes

Choisir Bertrand Cantat pour le choeur, voilà un étrange choix de la part de Wajdi Mawouad. N'est-ce pas lui qui a tué sa première femme et vécu le suicide de la seconde ?


Peut-être est-ce cela qui m'a émue, et qui donne à la trilogie Des femmes toute sa profondeur. La scénographie, les costumes et le jeu des acteurs sont appréciables, mais par-dessus tout ressort la voix rauque de Bertrand Cantat, comme un cri du coeur qui nous bouleverse de l'intérieur. On redécouvre un artiste à peine sorti de prison, et on en oublie presque son passé, tant il est touchant dans son hommage aux femmes.


"Car le Chronide qui régit toute chose, aux mortels n'a jamais accordé de vie exempte de souffrances. Peines et joies pour tous tournent sans fin, comme le fait l'ourse autour du pôle." Déjanire - Bertrand Cantat


Coline Eliot






Sophocle, Electre


Les sept heures bien trop rapides


Décor contemporain, acier, meuble vieilli, installation technique et technologique, jeu de lumière constant avec les costumes, et beaucoup de mobilité dans le décor : pluie, cage, mur, sol, boue, chaise, banc. A chaque passage s'adaptait une ambiance, un paysage.


Durant ces sept heures de jeu, de nombreux actes, gestes, phénomènes se sont reproduits. L'eau. Présente dans chaque pièce, celle-ci lave, celle-ci accable, celle-ci rapproche. L'emprisonnement. Mural, tombal, drapé. La mort, et justement ce drapé funèbre : le père changé en femme sous le drap, les corps enroulés, ou les deux cadavres recouverts, cachant le meurtre. Et toujours cette femme, fille que le destin accable de lourdes missions.


Une représentation efficace, changeant les codes barbants du théâtre ancien. Danse redondante, chant, nouveau jeu de scène, changement ou ajout de mots. On se retrouve plus alors dans ce théâtre, à la fois porté sur un message anti-misogyne mais aussi sur le rappel d'un théâtre festif et décalé.


Yann Roussel





Sophocle, Antigone (Charlotte Farcet)



Antigone était un fantôme



L'entrée d'Antigone fut magistrale.

Les rideaux tournoyaient, tachés de rouge.

D'abord elle sortit la tête.

Je fus effrayée, vraiment.

Puis elle sortit entièrement, marchant doucement, froidement, vers les spectateurs.

Dans sa robe repliée, il y avait de la terre, qu'elle lâcha, arrivée en bout de scène.

Une musique étrange l'accompagnait.

C'était un moment mystique.

Antigone était un fantôme.

Son regard était vide,

Son visage fermé,

Sa présence unique.

Quand elle parlait, il y avait un peu d'écho.

Sa voix était un peu cassée.

Cela ressemblait à des lamentations...

Julia Derungs



"Il faudrait ne jamais devenir grand" - Anouilh

Beaucoup d'hommes refusent ce qui leur est imposé, refusent de ne pas gérer entièrement leur vie comme ils le souhaiteraient.


Antigone est l'un de ces hommes. Elle ne veut pas se plier aux décisions des autres. Elle veut se battre, se battre pour diriger sa vie. Défendre ce qui lui cher. C'est une femme forte, qui porte le monde sur ses épaules. On peut ressentir toute sa force à travers ses cris. Ses cris de vie. Soutenus par les chants. Par les mélodies de son histoire, échos vertigineux à ce qui va se jouer devant nous. On en sort troublé, mille fois durant le spectacle on aimerait la sauver. Sauver son bonheur. Mais pouvait-il en être autrement ?


Anaïs Léger